Carnet d’Auteur : Small Islands de A à Z - Troisième Partie

[Small Islands]

Au moment de publier cet article, Small Islands, édité par MushrooM Games et distribué par Pixie Games, rencontre le succès en boutique, les retours positifs des joueurs font plaisir à entendre et à lire, et j’essaie de me remémorer mon parcours. Dans cette troisième partie je vais vous raconter l’histoire du développement de Small Islands, avec des problématiques d’ergonomie, le mode solo, finaliser le jeu, et puis finalement, quelle était mon intention en créant ce jeu ?

Si vous avez manqué la première partie c'est ici : Carnet d’Auteur : Small Islands de A à Z - Première Partie.

Et la deuxième partie est là : Carnet d’Auteur : Small Islands de A à Z - Deuxième Partie.

Comme auparavant, il m’a paru intéressant d’inviter Nicholas Bodart à intervenir au fil du récit afin qu’il donne son point de vue en tant qu’éditeur et développeur du jeu.

Si vous ne  connaissez pas encore Small Islands, un jeu de Alexis Allard (c'est-à-dire moi de chez moi-même :) :

Avec Nicholas, on commence à recevoir les illustrations pour le jeu. Les choses commence à se fixer. Il nous faut donc être vigilant sur l’ergonomie. Et puis pourquoi pas créer un mode solo histoire de s’occuper...

Où est-ce qu’on pose les maisons ?

Au début il n’y avait pas d’emplacements indiqués sur les tuiles pour placer les pions maison. À ce propos Nicholas me fait remarquer un problème d’ergonomie. Et il me propose d’ajouter des emplacements pour maison. Moi ce problème ne m’avait pas dérangé jusque là, et au départ je suis inquiet de ce changement car je sais que ça implique des choses derrière. Mais Nicholas va vous expliquer ça :

Mais c’est ce qu’il faut ! Ma hantise lorsque je montre le jeu est que les gens me disent qu’il n’est pas lisible, parce qu’ils mettent des maisons sur les ressources. Dois-je vraiment prendre ça par la main et ajouter des emplacements ?… Oui.

“Alex, j’en ai marre que les joueurs placent leurs maisons n’importe où, qu’ils recouvrent les ressources et qu’ils me posent la question à tout bout de champ : “Où est-ce qu’on pose les maisons ?” Je veux des emplacements sur les Tuiles. Des Tuiles avec un ou deux emplacements et des Tuiles sans.”

“Cela va changer tout l’équilibre du jeu et l’on risque d’avoir des îles avec moins de maisons” me dit-il. “Et alors ?”…

Et alors, je pense que ce fût une bonne idée d’ergonomie. Ce que cela a impliqué mécaniquement est le renforcement de la stratégie de timing de pose et de construction d’îles.

Nicholas a raison. Il y a vraiment un problème d’ergonomie. Donc j’ajoute des emplacements pour les maisons sur les tuiles mais combien ? Et où ? Car s’il n’y a pas d’emplacement pour maison sur une île alors le joueur est bloqué. Si j’en mets beaucoup ce sera trop chargé et pas très intéressant. Si j’en mets trop peu ce sera trop bloquant et le jeu trop tendu. Et pour moi l’essentiel du jeu ne se trouve pas là.

Avec des emplacements pour les maisons c’est mieux.

Alors je choisis d’en mettre suffisamment pour que la plupart du temps le joueur ne soit pas bloqué, mais pas trop non plus afin qu’il y ait tout de même une tension, en particulier sur les plus petites îles sur lesquelles il n’y aura pas de place pour les maisons de tout le monde. Évidemment avec ce petit changement je dois encore retravailler tout l’équilibrage pour la énième fois ! C’est un vrai casse-tête car chaque élément sur chaque tuile n’est pas réparti au hasard. Je passe donc quelques bonnes heures à déplacer les différents éléments d’une tuile à une autre pour trouver la répartition idéale.

And voilà !

Ainsi d’un problème ergonomique est apparu une solution qui amène encore un peu plus de profondeur et de cohérence au jeu. En plus ces emplacements pour maison sont un nouvel élément dans le jeu qui amènera de nouvelles idées pour jouer avec...

Il y a 4 formes de maisons différentes et elles ont été réalisées sur la base de croquis que j'ai dessinés, alors j'ai beaucoup de plaisir à voir les joueurs jouer avec !

Il faut que tu mettes plus de folie !

Fin 2017. Nicholas : « Je veux un mode solo ! »

Ça tombe bien parce que moi aussi. Je ne sais pas si ça arrive souvent qu’un éditeur et un auteur soit aussi synchro mais en tout cas on avait les mêmes envies au même moment et je crois que ça a été super positif. Un mode solo sur un jeu de placement de tuiles ça ne se voit pas souvent, mais un mode solo avec un adversaire virtuel encore moins. Et c’est ça que je veux faire.

Il n’existe pas à ma connaissance de mode solo pour des jeux de Tuiles. Je dis bien à ma connaissance. De plus en plus, les joueurs veulent des modes solo. Pour ma part, je n’en suis pas fan, et cela va à l’encontre même du principe de jeu de “société”. Mais qu’importe.

Pour ma part, j’ai fait pas mal de recherches sur les modes solo avant de me lancer là-dedans. Il existe effectivement un ou deux jeux de tuiles avec mode solo, mais pour l’essentiel il s’agit de variantes non-officielles. Par contre il n’existe vraiment aucun jeu de tuile qui propose un mode solo avec adversaire virtuel. À chaque fois il s’agit de jouer seul en essayant de faire le plus gros score possible. Et je ne trouve pas ça très satisfaisant. Sur les forums on peut trouver une scène très active de joueurs qui créent des modes solo pour leurs jeux préférés. Ce qui montre bien un vrai appétit des joueurs pour cela. Moi-même quand j’achète un jeu auquel je ne suis pas sûr de pouvoir faire jouer mon entourage, je suis content quand un mode solo a été prévu.

Créer un mode solo avec un adversaire virtuel c’est presque comme créer un nouveau jeu à l’intérieur du jeu. Ça représente pas mal de boulot et je ne suis pas sûr à ce moment-là d’y parvenir. J’avais déjà travaillé sur des variantes solo de jeux mais ça n’avait pas été très satisfaisant.

C’est Nicholas qui va trouver le point de départ : une mécanique pour que l’adversaire place aléatoirement des tuiles en fonction des quatre points cardinaux, nord, sud, etc. En l’état, ça ne marche pas, pas assez précis, trop de possibilités de placement, mais l’idée est là.

Je ne veux pas d’un mode solo classique qui consiste à jouer à la place de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas assez intelligent. Je pose donc les bases de ce que je veux : un joueur virtuel qui jouerait en fonction de moi et non aléatoirement. En outre, le seul truc que nous puissions organiser avec un jeu de Tuiles c’est la direction.. Un peu comme les points cardinaux.

Je propose donc à Alexis, les bases de ce que je veux. En parlant de sensations, de feeling, d'intelligence. Sans pour autant donner une mécanique précise (je ne suis pas un auteur), je lui donne les bases du jeu solo.

Je reviens avec un mode solo où l’adversaire virtuel place aléatoirement les tuiles dans l’une des quatre directions mais en fonction de la tuile que vient de placer le joueur. Ainsi, l’adversaire donne vraiment la sensation de réagir à ce que l’on joue. Trouver la bonne formule et le bon équilibrage n’a pas été évident mais je crois avoir réussi.

Alexis revient avec quelque chose qui colle parfaitement à ce que j’ai dans la tête. Sans pour autant le créer moi-même. Je teste et je lui bugge le jeu. Dépité, Alexis m’avoue qu’il a fait plusieurs parties et je lui plante le jeu à la première. Logique, il y a une faille. Et c’est tant mieux.

En effet, le Mode Solo était créé. La mécanique fonctionne bien. Il reste à faire deux choses : l’équilibrage et malheureusement changer deux points de règles. Je dis malheureusement car c’est ce qui est navrant et trop souvent incontournable : changer les règles, les tordre pour le mode solo.

Un éditeur tout terrain.

Je crée 6 niveaux de difficulté et présente le résultat à Nicholas. « C’est très bien, mais c’est trop linéaire. Il faut que tu mettes plus de folie ! » Ça je ne m’y attendais pas. Son idée est de créer des niveaux de difficultés avec des sensations de jeu très marquées et très différentes. Un adversaire virtuel avec une personnalité variable qui joue très différemment d’un niveau à l’autre.

C’est ce qui arrive souvent avec Nicholas, je crois avoir fini, puis Nicholas ouvre une porte que je n’avais pas vue. Je finis donc par créer un mode solo avec un adversaire virtuel à personnalité variable. À ce moment-là, un mode solo avec un adversaire à personnalité variable, je crois que c’est inédit. Je n’ai jamais vu ça ailleurs.

Je me fiche d’avoir des niveaux de difficultés différents. Ce n’est pas intéressant. Pas assez intelligent. Le mode solo c’est un bac à sable dans lequel le jeu va amener le joueur à jouer différemment. Et pas simplement à être plus fort. Il faut pouvoir le déstabiliser, le faire… penser différemment.

Du coup, puisque la mécanique du solo fonctionne, et bien il est temps de la triturer, de lui donner de la personnalité. Je demande en effet à Alexis, qui m’avait donné un truc carré et linéaire de revoir sa copie. De mettre un peu de fun, un peu de schizophrénie, de peps dans ce mode. Comment ? Et bien en faisant l’inverse de ce qui est prévu ! En effet, dans le jeu vous gagnez des points de victoires en mettant des maisons. Et pourquoi le joueur solo n’en perdrait pas ? Il y a en outre, un deck composé de Cartes Terrain et de Cartes Bateau, je le pousse à jouer encore plus sur cette variable.

Et là Alexis revient avec 6 niveaux de difficultés et 6 sensations de jeu différentes. Le mode solo était clos !

Il lui manquait encore un nom. Car IA ou mode solo, ce n’est pas sexy comme nom de baptême ;-) Je décide donc d’appeler ce joueur virtuel Alexis, pour rendre hommage à l’auteur du jeu. Un peu gêné, il accepte.

Par commodité j’avais appelé l’adversaire virtuel le “Rival”. C’est en relisant le document partagé en ligne de la règle de jeu que je m’aperçois que Nicholas avait remplacé partout “Rival” par “Alexis” ! Dans la pratique je trouve que ça fait un peu hommage rendu à moi-même ! Ça me parait incongru et je n’aurais jamais osé faire ça moi-même, mais puisque l’idée vient de l’éditeur, pourquoi pas ! Je choisis alors de l’assumer, en me disant qu’à travers moi c’est une mise en avant du travail des auteurs en général, et puis au fond, c’est surtout plus amusant comme ça.

Pour équilibrer le mode solo, faut jouer tout seul !

Il reste encore pas mal de boulot.

Festival de Cannes 2018, le jeu est présenté sur le stand de Pixie, le distributeur. Le jeu est quasi fini est les retours sont très positifs. Mais de retour de Cannes il reste encore pas mal de boulot.

Truc de taille, je dois réaliser la mise en page de la règle. On sait que la règle peut être un frein pour les joueurs, et je veux absolument que ça rentre en 12 pages et que ça reste aéré et structuré, or avec le mode avancé et un mode solo plus élaboré que d'ordinaire, la règle paraît plus longue qu'elle ne l'est réellement. Rien que ça, ça représente un travail étalé sur plusieurs mois d'écriture et de mise en page, sans compter le suivi des différentes traductions puisque le jeu sort en 6 langues.

Tu vas un peu rapidement sur les règles ! Être maniaque et vouloir tout gérer ! Grrr. À ne plus faire (lol).

Plus sérieusement, je demande à Nicolas de nous donner une trame, et je conviens avec Alexis que c’est lui qui sera en charge de l’intégration et de “la petite main” graphique du jeu. J’entends par là qu’il fut engagé pour épauler Nicolas sur tous les aspects graphiques.

Alexis me montre le résultat. Et me suggère vivement de passer le texte sur deux colonnes. Je l’écoute et le suis. Il est plus professionnel que moi dans ce domaine, alors, let’s go.

Résultat pas mal. Mais il manque des choses. Pour moi, il manque des exemples, de la clarté et surtout l’intégration du mode avancé. S’en suivra que je veux aussi un habillage différent pour distinguer les parties les unes des autres.

Et lorsque tout est calé, et bien, je demande encore à rajouter des choses. La plus importante était Les Grands Explorateurs (le mode achievement comme je l’appelle), je veux aussi une FAQ et un graphique. Et tout cela sur la dernière page, avec les remerciements… La galère pour Alexis pour tout faire tenir…

Attendez attendez, je vais en dire encore sur la règle. La “petite main” de Nicolas (le DA) a vite dû devenir grande ! Et ça tombe bien, car heureusement j’en ai sous le pied. Il faut dire que Nicolas a eu pas mal de travail sur les tuiles et autres éléments. Il n’avait alors plus trop de temps à consacrer sur la règle. Il me fournit quand même une page avec un fond et un cadre coloré pour me donner l’orientation graphique que doit avoir la règle. Autant dire qu’il y a presque tout à faire.

Je convainc donc Nicholas (l’éditeur) de faire la règle en 12 pages et en 2 colonnes (ce que je n’étais pas sûr de réussir mais finalement si), ainsi qu’une mise en page avec un système de blocs de couleur, pour que le joueur identifie plus facilement les règles du mode avancé et autres règles particulières.

Quand je lui fournis la première version, bien sûr, il voit surtout qu’il manque encore des choses, en particulier tous les schémas pour illustrer les exemples de jeu. Normal, je ne savais pas que j’allais devoir toutes les réaliser moi-même ! Enfin il y a pas mal d’allers-retours avec Nicholas pour que le résultat soit vraiment parfait. Ouf !

Je finalise également l’équilibrage du mode solo et de toutes les cartes du mode normal et avancé. Avec Nicholas on aura bossé jusqu’à la dernière minute avant que le jeu parte en production en juin ! Il y avait tellement de détails à travailler pour que tout soit parfait.

Équilibrer les tuiles.

L’équilibrage notamment était délicat car la puissance d’une même carte objectif dépend beaucoup de la situation de jeu. Il a fallu pas mal d’itérations avant d’arriver au bon équilibre. Les données et mes propres sensations de jeu me disaient que certaines cartes sont plus fortes que d’autres. Mais à force de jouer, j’ai fini par acquérir un niveau expert sur Small Islands. Et les joueurs qui découvrent le jeu ont parfois le sentiment qu’une carte peut être forte alors que moi je la ressens comme faible. A contrario une carte qui pour moi est forte va être ressenti par le joueur qui débute comme trop risquée et difficile. Il a fallu équilibrer le jeu de telle façon que le joueur débutant va progressivement basculer vers d’autres cartes au fur et à mesure de sa compréhension du jeu. Tout en faisant en sorte que les cartes plus faibles restent très utiles selon la situation de jeu. Cela peut dépendre par exemple si on a le sentiment qu’une manche va être longue ou courte…

Équilibrer le… Eh ! Pousse-toi tu veux !

Parler des Achievements ici

Il en reste, on vous le met quand même ?

Durant les tests il apparaît clairement que pour certains joueurs il n’y en a pas assez dans le jeu. Mais le problème c’est que si on en met trop d’un coup au départ, le joueur sera noyé. On veut donc ajouter un peu de matériel pour enrichir le jeu. On en a discuté pendant longtemps avant de savoir comment on allait le faire techniquement, comment présenter les choses, en particulier pour Nicholas avec le fabricant. Car on ne veut pas que les joueurs jouent avec tout de suite. Or je pense que pour beaucoup de joueurs la tentation sera grande. Moi-même quand on me dit de ne pas jouer avec toutes les options dès la première partie, et bien j’ai envie de faire le contraire. Avec Nicholas on a alors l’idée de “gamifier” cela. (Je n’aime pas cette expression mais comment le dire autrement ?) Les joueurs devront réaliser un certain nombre de succès (ou achievements ou objectifs) au fil de leurs parties afin de débloquer le matériel supplémentaire pour les “Grands Explorateurs”. Honnêtement les joueurs ne seront pas obligés de le faire et pourront sauter cette étape s’ils le veulent, mais on compte sur leur côté joueur pour le faire tout de même. De plus cette petite idée permet de mettre en lumière certaines choses qu’il est possible d’accomplir dans le jeu mais qui ne se voient pas forcément au premier abord. Une fois d’accord sur le principe, j’écris donc une liste de succès à réaliser, puis on en discute avec Nicholas, on fait le tri, et emballé c’est pesé...

Dans la boîte il y a de quoi faire...

Nous sommes un mercredi, il est 23 h, Alexis et moi sommes à notre association de jeu, le Buena Partida. Les fichiers doivent partir en pré-production chez Longpack (le fabricant) dans 24 h. Toute la soirée, à l’approche de l’envoi, des détails me tournent dans la tête. Et puis soudain, je me lève et je vais vers Alex : “Cela ne va pas, il faut recommencer !”

“Quoi ?”

“Le Mode Achievement ! Il ne sert à rien dans l’état, Il est trop simple, pas assez élégant et il n’est pas bon !”

Le Mode Achievement, que nous avons rebaptisé dans la règle : “Les Grands Explorateurs”. C’est quoi ? Et bien, je ne vous le dirais pas. Car je ne veux pas vous gâcher la surprise. Mais sachez que j’aime qu’il y ait des évolutions dans un jeu, que l’on reçoit quelque chose à un moment, que le jeu soit généreux, que le jeu nous donne l’opportunité de l’observer différemment, sous un autre regard. Cela a donné naissance aux Grands Explorateurs. L’idée est que les joueurs puissent progresser dans le jeu. Je joue énormément la nuit à la PS4 à des jeux d’évolutions de personnages, justement. Et dans le jeu vidéo, il y a cette possibilité de progression.

Nous voilà à discuter autour d’une table. Et je me rends compte que je viens de rater mon bus. Je le regarde et lui demande ce qu’il fait dans les prochaines heures. Comme il n’a rien de prévu à part dormir, nous allons chez moi et nous revoyons tous les critères des Grands Explorateurs. Les objectifs que les joueurs devront accomplir.

Cool, nous arrivons à quelque chose. Sauf que… Sauf qu’il nous faut également prévenir les éditeurs étrangers, les Allemands, et l’Asie (en la personne de Citie). Car évidemment, s’il n’y avait que le français, cela serait trop simple !

“Quoi ? Comment ça c’est pas bon ?” En effet, on a écrit les achievements un peu vite et on ne s’y était pas repenché dessus. En les relisant attentivement, c’est un peu planplan. On passe la nuit à les réécrire, refaire la mise en page, les fichiers pour impression, et bien sûr faut aussi refaire l’anglais, l’allemand, le chinois, le coréen et le japonais ! Mais ça y’est, c’est fini !

Quelle est ton intention ?

Mais qu’est-ce que j’ai voulu faire finalement ? Mis à part le fait d’avoir voulu faire au départ un jeu de placement de tuiles avec des sensations de jeu de gestion de ressources ? Dans ce jeu, les joueurs collaborent pour construire un paysage dont tout le monde peut profiter mais chacun essaye d'en tirer le meilleur parti pour être le vainqueur à la fin. Je pense que le monde n'est pas uniquement coopératif ou compétitif, mais les deux en même temps. J'aime bien intégrer cette idée dans mes jeux, et ce sera également le cas sous d'autres formes dans mes deux prochains jeux qui sortiront en 2019. De plus, à force de travailler sur le jeu, ça représente une partie de ma vie maintenant, j’ai le sentiment d’y avoir mis plus de choses personnelles que je n’aurais cru.

J’ai plaisir aussi à y trouver quelques références mythologiques.

La fleur de lotus, l’une des 3 ressources du jeu, peut être confondue avec le lotos, un fruit qui apparaît dans l'Odyssée d'Homère. C'est une plante qui a la capacité de faire perdre la mémoire : quiconque s'en nourrit oublie qui il est et d'où il vient. J’aime bien l’idée que le joueur, s’il apprécie le jeu, va se perdre un peu dedans et oublier le temps d’une partie ce qui l’entoure.

La feuille d’arka est une plante mythologique qui symbolise la lumière ou la foudre. Et dans Small Islands il est affaire de lumière et de paysage baignés de soleil.

Le fruit du dragon était une pomme au départ. S’il a conservé seulement sa couleur orangée, j’y vois une référence aux pommes d’or du jardin des Hespérides, un mythe qui a probablement inspirée l’histoire du jardin d’Éden. Small Islands est d’ailleurs probablement perçu par les explorateurs comme un véritable éden.

Là visiblement une version avec des champignons qui n’a pas duré.

Un éden dans lequel il reste les vestiges d’une civilisation disparue avec ses temples. Mais disparue pourquoi ? Ou bien partie mais pour quelle raison ? Quand on y réfléchit bien, il y a peu de chance pour que ce soit à cause d’une bonne nouvelle... Derrière ce paysage lumineux se cache peut-être une part sombre. Mais ces questions restent sans réponse.

Vision du monde, références culturelles, mythologiques ou personnelles, en tout cas, en réfléchissant à ce genre de choses, je veux croire que j’ai pu mettre dans Small Islands un supplément d’âme et un peu d’épaisseur, et que les joueurs pourront le ressentir même si ça ne peut pas être perçu au premier abord.

Les 3 F

Fff… Pour revenir sur les ressources en fait, on a eu du mal. Lors du brief créatif, Nicolas (le DA) nous demande “C’est quoi les 3 ressources ?”

Il a attendu quelques mois avant qu’on lui réponde !

Le jeu a pris grosso modo 18 mois de développement, de discussions… Et bien, le nom de ces ressources, aussi. Depuis le début, nous savions qu’il y avait 3 ressources (proto d’Alexis) et que l’idée de base Thé, Café, Cacao n’était pas adapté et pas sexy pour un sou. Du coup, on savait qu’il fallait les changer. On le savait et pourtant…

Et pourtant, l’idée de ces trois ressources a dû venir, genre peu de temps avant le lancement de la production. Et des passages par des champignons par exemple, ont montré notre limite.

Ce qu’oublie Alexis, c’était notre volonté que les joueurs ne disent pas : “J’ai besoin d’avoir plus de jaune que de bleu”. On voulait vraiment que les joueurs citent le nom ou du moins “l’objet” : “J’ai besoin d’avoir plus de feuilles que de fleurs”.

Note pour plus tard : ne plus faire un jeu de ressources avec trois ressources commençant par “F” et avec des interactions entre elles ! Lors de l’explication des cartes en festival, il y a toujours ce passage : “Vous pouvez aller sur les îles qui ont plus de fleurs que de fruits, plus de fruits que de feuilles et plus de feuilles que de fleurs !” En montrant les trois Cartes Objectif. Et selon l’ordre dans lequel on présente ces cartes, c’est plus ou moins “facile” de tout prononcer sans bafouiller ;-)

Merci

Au final ça a été un gros travail d’équipe avec Nicholas, Aurélie et Nicolas. Si j’ai posé toutes les mécaniques de base en une seule journée, ça m’aura finalement pris 2 ans, dont 1 an et demi avec Nicholas, pour les peaufiner et obtenir le meilleur jeu possible.

Travailler avec Nicholas a été super productif. C’était un peu entre le développement et le coaching. Il n’a jamais essayé de faire le jeu à ma place. Mais il m’a aiguillé sur les bonnes décisions à prendre. Et il m’a poussé à être toujours plus créatif. De plus j’ai rarement rencontré quelqu’un qui soit aussi attentif aux détails que moi, si ce n’est plus. Il est très à l’écoute, et j’ai pu m’exprimer et donner mon avis sur tous les aspects du jeu. Je savais que plus je bossais sur le jeu et plus ça ressemblait à ce que je voulais. J’ai donc beaucoup travaillé !

Fatigué mais content.

Ainsi j’ai créé Small Islands de A à Z, mais grâce à Nicholas le jeu a pris une autre dimension et le résultat est à l’arrivée bien meilleur que ce que j’espérais.

Enfin, si je suis le seul auteur de Small Islands, ça ne veut pas dire que l’on peut créer un jeu seul dans son coin. Beaucoup de personnes, professionnels ou non, sont intervenus et nous ont soutenus durant tout le développement du jeu. Ils se reconnaîtront et je les remercie encore. J’espère que vous aurez apprécié ce carnet d’auteur et que vous apprécierez Small Islands, évidemment.

Au final le jeu est comme Alexis, Aurélie, Nicolas et moi l’avons voulu. Ce fût un vrai travail d’équipe où chacun est important.

J’ai découvert en la personne d’Alexis, un homme admirable, d’une grande générosité et doué d’une belle intelligence.

Note : Écrire cette phrase quelque part : “Et finalement le cœur de Small Islands n’a pas encore livré tous ses secrets...”

 

Et la suite ?

Et finalement, le cœur de Small Islands n’a pas encore livré tous ses secrets…

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Vivement LES suites…

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Un peu comme la trilogie du Seigneur des anneaux, le dernier volet de ce carnet est le plus complet avec de l’émotion à la fin.

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Merci pour vos commentaires

ils se marièrent et eurent beaucoup de proto :wink:

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