[Carnet d'auteur] Pantacle #1

[Pantacle]

Pantacle est un jeu de Yohan Callet, David Paput et Yann Grizonnet, édité par Bragelonne Games et illustré par Førtifem.

Les protos des types (et de la fille)

Le samedi matin, c'est proto avec les copains. Vu de l'extérieur, on dirait quatre types qui ne font que s'engueuler. Valérie, qui nous a rejoint récemment, a fini par s'y faire et revenir. À priori, on ne lui a pas fait trop peur.

Généralement, les jeux se développent à deux. Et un jour, avant de nous quitter, David nous soumet, à Yohan et à moi, une idée de jeu à développer tous les trois.

" On va jouer en-dehors de notre tour. Mais vraiment ! "

L'idée, c'est de casser la notion de tour d'un joueur. Une action a généralement un coût et, à son tour, un joueur s'en acquitte pour l'exécuter. Dans le jeu que David imagine, le joueur actif peut réaliser l'action qu'il veut, gratuitement. Les autres peuvent l'exécuter à sa place à condition d'en payer le coût.

Gratuit pour le joueur dont c'est le tour, payant pour les autres.

Évidemment, nous avons été immédiatement emballés. On a échangé rapidement autour d'un thème pour structurer le début du développement.

Je suis fan de deckbuilding, on avait déjà discuté de ça ensemble et avec d'autres sur le groupe des ludistes francophones. Un des intérêts de ce type de jeu, c'est pas uniquement les combos mais le fait de ressentir un montée en puissance. Est-ce que ça aurait un intérêt un jeu dans lequel on démarre à pleine puissance et au cours duquel on perd en capacité ?

Pas sous la forme d'une spécialisation nécessitant le sacrifice d'une partie de nos capacités pour en renforcer une autre, mais plutôt comme... un Archimage frappé d'Alzheimer qui oublierai le sortilège des glaçons dans le Spritz1.

Pentacle (nom quasi définitif)

Yohan et moi, on est assez jeu vidéo. Yohan envisage rapidement un thème sombre, dans l'esprit d'un Hack'n slash gothique. On ne sait pas trop en quoi consistera le jeu, mais il y aura un chasseur élancé avec une arbalète dans chaque main. Bon, au final il a un peu vieilli et il tient son arme à deux mains. La vieillesse est un naufrage. Mais c'est amusant de voir persister sous cette forme notre idée originelle.

Si les joueurs se portent des coups bas et perdent en capacité, autant qu'ils incarnent des méchants. Partant de là, l'idée de la présence de la magie ou de rites occultes émerge. Un rituel autour d'un pentagramme s'impose. On baptise ce proto : Pentacle. En parlant de ça, certains de nos projets changent de nom plusieurs fois au cours du développement. Quand ils commencent par s'appeler "le jeu des poules" ou "le jeu des pigeons" on comprend aisément qu'il faille renommer s'il abouti. Concernant Pentacle il est simplement devenu Pantacle une fois dans les mains de l'éditeur. Plus original et moins parasité par des références antérieures sur internet.

On souhaite qu'il ait un aspect gestion. Il nous faut des ressources. Pour coller au thème, on envisage des adeptes à recruter, et éventuellement sacrifier, ainsi que l'influence.

En guise de premier proto, ça donnait ça :

Pas évident d'imaginer ce que ça va donner. C'est tout le talent de l'illustrateur, d'ailleurs. Un grand bravo à Førtifem pour le rendu final.

Un papier et un crayon, en tout cas, y'a rien de mieux pour démarrer un proto.

On part donc sur une thématique "magie noire" dans une ambiance gothique. Les joueurs dirigeront donc une secte et feront la course pour invoquer et obtenir les faveurs d'un démon. Pour ça, ils useront de leur influence sur un chasseur, une gitane, un chien, un gourou, des sbires et la "main du destin". Pensé comme une forme de joker à l'époque, il devait maximiser nos actions.

Nous sommes partis de nos personnages et du thème pour les combiner par paires. Il restait à imaginer des pouvoirs qui pourraient correspondre aux caractères de chacun. Le coût d'une de ces actions consistant à se défausser de deux cartes Personnages impliquées si on s'oppose au joueur actif.

On décide donc de limiter la main à trois cartes en début de partie pour éviter qu'on ne puisse faire deux contres au cours du même tour de table. Chacun ne refera sa main qu'à la fin de son tour. La possibilité de monter à quatre cartes en main, offrant la possibilité d'effectuer deux contres dans un tour de table, sera un des premiers pouvoirs.

Tout ça prend forme, et on est très content. Côté thème et pouvoirs, on avance donc pas à pas.

Le Gourou envoyait la Gitane "voler" des adeptes à ses adversaires grâce à son don de persuasion. La Main magnifiait le caractère des autres personnages, par exemple en rendant le Chasseur plus incisif. Un Chien accompagnait le Chasseur dans ses traques, comme une forme de persuasion plus musclée qu'avec la Gitane.

La seconde ressource, après les adeptes dont on ne savait pas encore quoi faire hormis les sacrifier, ce sera l'influence. Cette ressource devait nous permettre d'influer sur le rythme du jeu. L'influence peut se perdre, se voler, se gagner et être dépensée.

À ce stade, les cartes Personnage ont déjà des occurrences différentes. Comme certains couples correspondent à des actions, il est temps de penser à équilibrer leur puissance "relative". Les calculs ne sont pas évidents. Selon la main d'un joueur (trois cartes, parfois quatre ; par moments moins s'il a contré) et le nombre de joueurs autour de la table... les cas de figures sont nombreux. J'ai plutôt opté pour une approche statistique et pas spécialement exhaustive avec un petit fichier en Python.

C'est pas parfait, mais à ce stade on retrouve pratiquement notre répartition faite au doigt mouillé. Plutôt encourageant ! Il y aura quelques retouches, mais le cœur du jeu est là.

Plus je pédale moins vite, moins...

Il est temps de s'attaquer au pentagramme. Plutôt qu'un jeu à points de victoire, ce qui n'est pas trop dans le thème des méchants qui se tirent la bourre, on penche plutôt pour une course.

Le premier à compléter le rituel l'emportera. Il y a cinq emplacements à sceller qui procureront chacun un bonus. Nos esprits tordus imaginent un système qu'on a beaucoup aimé. Il restera d'ailleurs un long moment, avant qu'on le remplace par les cartes Malédictions.

Voilà à quoi ça ressemble, une fois que Yohan en a eu marre de nos feuilles gribouillées :

Le premier emplacement scellé apportera un bonus. Deux Adeptes pour celui du haut par exemple. Le second emplacement, s'il est relié à un autre déjà scellé, apportera son bonus mais créera un "Malus de liaison".

On était très content de cette idée. On voulait que plus le joueur avance, plus il soit gêné, ralenti. Le côté mathématique et arbre décisionnel me plaisait beaucoup. Un premier emplacement apportait naturellement un bonus sans malus. Un second emplacement pouvait ne pas apporter de malus, si adjacent. Un troisième apportait fatalement au moins un malus, voire deux. Etc. Ça donnait l'impression d'offrir des choix. Mais le côté statique des liaisons avait finalement pas mal de défauts :

  • On avait tendance à toujours faire la même chose. En tout cas chacun avait son "pattern" de développement.
  • Et on se débrouillait pour sceller deux emplacements côté à côté pour retarder les liaisons.

David est généralement le premier à impulser une remise en question. Quand Yohan et moi, on essaye de modifier, d'équilibrer lui n'hésite pas à partir dans une autre direction. Quitte à revenir plus tard à l'ancienne mouture.

On a d'abord imaginé des tuiles malus qui venaient sur les emplacements de liaison mais ça gênait la lecture du jeu. Il fallait sans arrêt vérifier si on avait tel ou tel malus en repointant nos liaisons. Ou alors il fallait une tuile par joueur qu'on aurait prise devant nous.

Finalement, on a opté pour plus de simplicité : des cartes Malédiction. L'avantage des cartes, c'est la modularité. On évitait ainsi l'aspect statique et on enrichissait ce segment du jeu avec une expérience différente pour chacun autour de la table. Ce qui ouvre un nouvel axe de développement : le choix.

L'influence serait la ressource idéale pour choisir les Malédictions les moins "mauvaises". Sauf si vous vous appelez Yohan la tête brûlée. Mais ça, c'est une autre histoire.

Le jeu a été présenté à Sébastien Célerin de Bragelonne Games, à Cannes en février 2019, avant qu'on ait cette idée. Je n'étais pas présent au FIJ cette année-là. Je laisse donc David et Yohan2 en parler. Ils devraient avoir quelques anecdotes à partager dans un prochain carnet d'auteur(s).


(1) Le cocktail, pas le biscuit. Soyez un peu à la page. Avec modération, dans les deux cas.

(2) Non, ils ne viennent pas pour les vacances. Non, ils n'ont pas changé d'adresse.

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Tiens je suis curieux de voir la suite :wink:

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Tu vas pouvoir assouvir ta curiosité cette semaine dans les boutiques.