Carnet d'auteur : Abra Kazam !

[Abra Kazam !]

Abra kazam ! est sorti il y a maintenant presque deux mois chez Buzzy games et c’est un plaisir de voir les retours des familles et (en particulier) des enfants à propos de ce jeu qui, parmi ceux que j’ai pu créer jusqu’ici, est un des plus simples à jouer. Mais simple à jouer ne signifie pas simple à créer. Je vous propose de vous expliquer ici, le parcours particulier de ce jeu…

Les origines

En 2016, je travaillais sur Orchestra ; ce jeu pour le moins atypique - et sur lequel je compte bien retravailler un jour - était un coopératif en temps réel où les joueurs incarnaient un orchestre symphonique. Chaque joueur avait un instrument avec une mini-règle loufoque lui correspondant et devait jouer des « notes » selon les indications d'un chef d'orchestre... Ce chef d'orchestre était le seul à voir « la partition » du morceau qu'il devait communiquer aux autres à l'aide d'une baguette en mimant les différentes intensités demandées (pianissimo, mezzo-forte, fortissimo).

Pour l'anecdote et parce que c'est plus simple à comprendre, voilà une petite vidéo en famille du jeu :
https://www.youtube.com/watch?v=GECBztKI8cQ

Le jeu avait été sélectionné au concours du Festival International de Parthenay 2016 et avait reçu un chouette accueil (merci encore à Sébastien de Pearl Games pour son enthousiasme) mais aucun éditeur ne s'était montré vraiment intéressé. Probablement à cause de la singularité du jeu et de la profusion de son matériel, entre autres raisons. Je repartais donc du Flip un peu déçu et je décidais de laisser de côté le jeu pour le moment.

Quand Harry Potter rencontre Orchestra

Un mois plus tard, je ressortais mon prototype d'Orchestra et j'essayais de réfléchir à la meilleure manière de simplifier le jeu et d'alléger ainsi le matériel. Or, la « mécanique » que je préférais dans Orchestra était celle du joueur incarnant le chef d'orchestre, celui qui utilisait sa baguette pour mimer les différentes intensités de la « partition ». Il y avait quelque chose de vraiment agréable dans ce rôle. Je commençais donc à réfléchir à un jeu où il y aurait simplement un chef d'orchestre avec une baguette, qui tenterait de nous faire deviner une « partition » tirée au sort parmi de nombreuses « partitions » visibles sur la table. Je fis donc quelques tests rapides, mais je m'aperçus assez vite que cette mécanique seule était certes intéressante mais loin d'être transcendante.

C'est alors que jouant avec la baguette, je me rendis compte que je pouvais utiliser également cette baguette, non pas pour faire deviner des partitions mais des sortilèges... Eh oui, une baguette de sorcier et non de chef d'orchestre ! Et ces sortilèges pourraient tout simplement être représentés par des tracés sur des cartes que l'on devrait reproduire en l'air avec la baguette !

Je fis donc immédiatement un proto avec des cartes comprenant un nom de sortilège et un tracé, un exemplaire de chaque carte étant présent sur la table face visible et un autre dans une pioche face cachée. La règle de ce prototype était très simple : lors de chaque tour le sorcier tire une carte de la pioche et doit reproduire le tracé de cette carte en le « dessinant » avec sa baguette en l'air, les autres joueurs doivent retrouver le sortilège effectué parmi les cartes présentes sur la table.

Je fis tester ça à ma famille... et ça marchait ! On se prenait à jouer au sorcier, c'était dur sans l'être trop, c'était simple et rigolo. Un détail, cependant, sauta rapidement aux yeux de mon frère : pour que les joueurs puissent deviner les sorts sans difficulté, il fallait inverser le tracé des cartes sur la table et des carte tirées par le sorcier. Car lorsque le sorcier fait son tracé en l'air, comme il est en face des autres joueurs cela produit un effet miroir, les joueurs voient l'inverse de ce qu'il voit lui. Bref, une fois ce point réglé, j'étais bien content ! Cependant, je sentais qu'il manquait quelque chose...


Quand Panic Island rencontre Harry Potter

Quelques jours plus tard, je fis tester le jeu à mon ami Rodrig (grand amateur de Quidditch), et je lui demandais son avis. Il me répondit que la mécanique était simple et efficace mais que les tours étaient un peu trop répétitifs et que surtout, pour lui, ça manquait de magie... Nous n'étions pas encore assez dans le thème de Harry Potter. Rodrig me proposa alors, à la manière de Panic Island, d'intégrer des contraintes physiques au jeu. Je trouvais cette remarque très intéressante et nous avons testé l'idée suivante : quand quelqu'un trouve un sort, il devient sorcier mais surtout il doit faire deviner la prochaine carte avec une contrainte burlesque liée au sort qu'il a trouvé ! De cette manière, la thématique du jeu était nettement plus présente (les sorts avaient un réel impact sur les joueurs), cela ajoutait beaucoup de fun et en plus chaque tour de jeu était différent du précédent ! La « magie » du jeu prenait forme.

Le corps toujours le corps

Je dois dire que j'aime particulièrement mettre le corps en action dans les jeux. Ayant d'abord fait du théâtre avant de créer des jeux, j'apprécie que ce ne soit pas que l'esprit qui travaille mais bien le « tout » d'une personne, pour se sentir ainsi véritablement immergé dans une partie. Mais attention, j'aime que cette utilisation du corps soit justifiée, que l'histoire du jeu nous invite à faire ces actions corporelles : ne pas tomber dans l’écueil de faire une action « débile » pour faire une action « débile » mais faire une action « débile » car l'histoire vous le demande. Et, de cette manière, cette action n'est plus seulement « débile », elle est en même temps cohérente, logique.

Tout le travail consistait maintenant à trouver des contraintes intéressantes à la fois pour le gameplay du jeu, c'est à dire de manière à mettre en difficulté le joueur au moment de tracer le sort avec sa baguette, et pour la thématique, avec des sorts qui nous projettent immédiatement dans l'univers de la magie.

Je vous épargnerai tous les moments où je me suis trouvé à tester les positions les plus étranges qui soient en relisant des passages de Harry Potter, mais au bout d'un mois de travail supplémentaire, le jeu me semblait prêt. Il y avait alors 25 cartes Sort, et au dos de chacune une contrainte associée.

L'édition

Je décidais alors d'envoyer le jeu à différents éditeurs que je connaissais. Et alors que j'attendais leur réponse, je me suis souvenu de Wladimir Watine de Buzzy games que j'avais croisé peu de temps auparavant... Or, sa collection « Top face », « Top dance », « Top Fantasy » (avec chaque fois des cartes au centre et l'une d'entre elle à faire deviner) me semblait tout à fait correspondre à mon prototype. Ni une ni deux, je lui envoie un email, auquel il répond très rapidement de manière enthousiaste. Je lui envoie le jeu, il le teste et m'annonce une semaine après qu'il désire le signer ! Banco :)

Mais tout n'est pas si simple, il y a encore du travail, beaucoup de travail... Car si mon prototype est tout à fait jouable dans l'état, au bout de deux parties on connaît tous les effets des sorts, la fameuse magie du jeu n'opère plus... Aïe ! Que faire ?!

Eh bien, tout simplement trouver des tas de nouvelles contraintes ! Mais ceci est plus facile à dire qu'à faire.... Heureusement, ce fut l'occasion d'un travail commun avec Wladimir qui a été très agréable. En effet, chaque semaine ou presque, nous nous appelions pour nous faire part de nos différentes idées. Parallèlement, les illustrations du jeu avançaient à grand pas, donnant ainsi un souffle d'âme supplémentaire au jeu. Et surtout, Wladimir travaillait avec acharnement à faire réaliser une baguette magnifique pour le jeu !

Enfin à force d'abnégation et après de nombreux tests en festivals, un peu moins d'un an après la signature du contrat, le jeu pouvait être envoyé en fabrication. Au total, 48 sorts et leur contrainte, une illustration différente pour chaque contrainte et une magnifique baguette en bois gravé !

Exemple de mise en place pour une partie (ici les 24 cartes Sort de base, ce qui en laisse 24 autres dans la boîte pour le renouvellement du jeu).

Le tout dans un thermoformage avec un superbe effet velours... Je ne vous mentirai pas en vous disant que j'ai eu des étoiles dans les yeux en ouvrant ma première boîte. Enfin, je pouvais devenir un sorcier !

Voilà, j'espère que ce petit carnet d'auteur vous aura intéressé et donné envie de découvrir le jeu. Comme quoi il n'est pas toujours si simple de faire un jeu simple :) Sur ce, je vous souhaite de belles fêtes ! Abra kazam !

7 « J'aime »