Boom Bokken : Créer un jeu stupide

J’entends par là : créer un party game. Les pointilleux de la sémantique objecteront que les party games ne sont pas forcément stupides, et ils auront raison. Admettons que j’emploie le terme par opposition à du jeu « intelligent », où on doit « réfléchir ».

Boom Bokken est un jeu stupide, dans le sens noble du terme. Bon, pas complètement, parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi et gagner quand même, mais il est majoritairement stupide. Le reste, la gestion de sa main, se rappeler de là où coince l’adversaire, compter les cartes, c’est la cerise pour celui qui a vraiment envie de réfléchir un peu quand même - et nul doute qu’il jouera sans doute « mieux » que son voisin qui ne le fait pas. Mais qu’importe. Le coeur du jeu, c’est de la rapidité, savoir jouer en équipe, et bien sûr : coincer son ennemi, le voir exploser devant soi, et entendre les lamentations de son partenaire.

Créer un jeu stupide, quelque part, c’est reposant. On peut pendant ce court moment de détente faire plus ou moins fi des notions d’équilibre et de stratégie optimale, qu’on traque sans relâche sur des jeux plus lourds. Le coeur du jeu, ici, c’est l’action. Bien sûr, le jeu se doit d’être correctement jouable et pas outrageusement injuste, mais le plus important, ce sont les sensations de jeu. Dans un petit jeu de cartes comme celui là, le nombre de variables à modifier est limité, et le principal, c’est que ce soit fun. Tout dans la création de Boom Bokken a été fait - parfois malgré moi - dans ce but.

Au commencement, on a bu une bière

Le premier prototype s’appelait « Du plomb et des plumes ». On y retrouvait déjà le coeur du système de Boom Bokken : jouer une carte, et demander « au dessus » ou « en dessous » à un autre joueur afin qu’il joue la prochaine carte. Sauf que, dans une maladroite tentative de plaquer un thème, on demandait « du plomb » pour descendre et « des plumes » pour monter. Pas très intuitif, vraiment peu efficace. Ca a vite été abandonné. Ce premier test, je l’ai fait avec Xavier Berret, patron de l’Heure du Jeu, alors que nous essayions de créer ensemble un jeu autrement plus sérieux (mais pourquoi faire ?).

Pour ceux qui pensent encore que les bonnes idées surgissent du néant, sachez que non, cette petite méca d’annonces ne m’est pas venue sous la douche. C’est en repensant au jeu Ninjato, où j’avais pris beaucoup de plaisir à jouer le mini-jeu de cartes de stop ou encore pour visiter les demeures. Dans beaucoup de jeux de cartes, les jeux de plis en particulier, les cartes de faible valeur sont de mauvaises cartes. On peut donc se retrouver avec une « mauvaise main », à subir le jeu tristement - et longuement, si c’est une partie de tarot. Je cherchais un moyen de faire en sorte qu’on ne puisse pas se faire donner de « mauvaise main », que donc chaque carte puisse être une bonne carte, selon l’utilisation qui en est faite. D’où l’idée de demander de jouer des petites ou des grosses cartes. Les plus chafouins objecteront que les cartes médianes restent encore de mauvaises cartes, et ils auront raison. Allez brûler en enfer.

Et puis après, on a bu une bière

Le prototype suivant récupérait un thème que j’essaye de mettre en jeu depuis longtemps. J’ai 12 versions différentes d’un proto nommé « Boston Bomb Club », rapport au vieux jeu video du même nom. Avec des dés, des jetons, des cartes… pas une seule version qui soit satisfaisante. Toutes reléguées au placard. Là, je me disais que ça pouvait bien fonctionner. Au final, ce thème ne sera pas retenu pour la version publiée : on souhaitait un thème un peu plus familial, le jeu pouvant se jouer dés 8 ans.

Bref, ce second prototype pouvait se jouer jusqu’à 12 joueurs, et introduisait le jeu par équipes, ainsi que des cartes à effet qui furent oubliées par la suite. Il fut testé au bar l’Heure du Jeu avec tous les membres du GRAL, le Gang Rennais des Auteurs Ludiques, et quelques sympathisants. Malgré quelques imperfections, la bière aidant, il remporta un franc succès : un jeu par équipes où on peut faire exploser son partenaire par inadvertance (ou pas) ne peut pas être un mauvais jeu.

Et alors là, on a… ah ben ouais…

L’aventure humaine - et humide, car en territoire breton - se poursuit à Mordelles, chez les organisateurs du célèbre festival Antijeu. Là bas, après un peu plus d’une bière, le jeu se raffinera à base de grands coups de haches dans le système de règles. Ne retenir que l’essentiel, et donc permettre à un joueur de choisir librement le joueur qui doit jouer après lui, en brisant le « chacun son tour ». Pourquoi ? mais pourquoi pas, pardi ! ça rend le jeu incroyablement plus dynamique, et plus tendu. C’est donc acté - et fêté par décapsulage.

C’est en voyant cette mouture que Xavier, qui vient de rejoindre l’équipe de Playad Games, me dit qu’il aimerait bien publier le jeu. Ce jour là, j’étais sobre, j’ai donc pu lui répondre avec beaucoup de sérieux que j’étais très content.

Dés lors, toute la team de Playad Games, et principalement Arnaud Ladagnous et Xavier Berret, s’impliquent dans le développement. Le coeur du jeu est bien là, mais il reste encore quelques petites choses à enlever, et une juste proportion reste à trouver entre les cartes Flash, les cartes Stop, et les cartes normales. Se pose également la question du thème. Même si celui ci se fait vite oublier tant le jeu est porté par sa mécanique, un bon thème, c’est tout de même important.

Je me souviens d’un soir au bar où nous avons fait joué 14 joueurs sur deux versions du même jeu, avec deux thèmes différents, et quelques ajustements sur chaque version. Pour le playtest, un bar à jeux est un magnifique bocal d’expérimentation. Avec une tireuse.

Et à la fin, la marmotte…

Comme je le disais, nous nous sommes laissés guider par les sensations de jeu. Tout ce qui pouvait nuire à la fluidité a été soit lissé, soit écarté. Au final, on tenait un jeu qui explosait comme de la dynamite, pendant les 10mn de partie où s’épuisaient les joueurs. S’en est suivi tout le processus éditorial, choix de l’illustrateur, du boitage, etc… où malheureusement, on boit plus de café que de bière, car on est en retard, et qu’on a des corrections à faire, et qu’il faut envoyer les fichiers hier. A l’heure où j’écris, le jeu vient d’arriver en boutiques. En tout, ça a pris à peine plus de 6 mois depuis « Du plomb et des plumes »…

L’autre jour, je suis retourné au bar pour faire jouer un nouveau prototype. Un jeu de stratégie, avec des dés. Les joueurs ont joué. L’un d’eux a gagné. Poliment, ils ont trouvé ça « pas mal, si si c’est bien ». Bon. Et là, j’ai sorti Boom Bokken. Ils ont joué, ils ont bien rigolé, m’ont demandé si c’était de moi - l’air étonné, vu le jeu auquel ils avaient joué juste avant. Au final, je leur laisse le jeu, ils en feront une autre tout de suite après. Je retourne au comptoir, un peu blasé, et en commandant une mousse je me demande à haute voix pourquoi on se casse le %*£ à créer des jeux de « stratégie ». Mais pourquoi faire ?!…

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La fiche du jeu sur TT

12 « J'aime »

Stupide??? On nous aurait menti?

Nous, chez Playad Games, on applique la même méthode qu'Ystari pour juger de la qualité et du sérieux d'un jeu:

Le nombre de points que son titre rapporte au scrabble. Et BOKKEN, en mot compte triple c'est 78 points. Pour peu que tu en achètes deux, tu rajoutes un "S" et tout de suite c'est 131 points!!!

Alors... Stupide? Soyons sérieux 5 minutes...

Après NEW YORK KINGS et BOOM BOKKEN... Vivement ZZZZZOMBY!

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Hoo le vilain qui ne connait pas les classiques, il n'y a qu'un K au scrabble, à la limite un lettre tripple pour le B mais je ne peux pas plus :)

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On nous aurait menti une fois de plus? Notre scrabble contient 5 K... Cela dit, maintenant que tu le dis, les règles sont en Islandais et le vendeur souriait étrangement en nous assurant que c'était la seule version encore éditée... A qui peut-on se fier de nos jours?

;-)

1 « J'aime »

Les cafés jeux, que ce soit l'Heure du Jeu ou d'autres ailleurs, sont des lieux ouverts d'expérimentation grandeurs natures, au même titre que beaucoup de festivals de jeux, mais sans contrainte de calendrier car ouverts toute l'année !

J'en profite pour remercier Henri et les auteurs du GRAL de leur fidélité depuis plus de deux ans.
Et je suis bien content, à plus d'un titre, que ces soirée proto régulières puissent donner aboutir à cette finalité aujourd'hui. Pour le coup, je t'offrirai bien une bière la prochaine fois que tu passes au bar !

Xavier Berret,
Pour l'Heure du Jeu

On a rencontré playad games à essen, on a testé New York Kings à 4, on est repartie du stand avec 3 boites de se jeux, 3 boom bokken et 2 agents secrets. (pas sur que vous vous rappeliez de nous :) )

Se fût en tous cas un moment très agréable et un plaisir de discuter ensemble bonne continuation à vous :))

4 « J'aime »

@quoiquidit Merci pour ce commentaire !
On a plusieurs souvenirs de groupes comme le tien qui ont joué, ont adhéré et acheté...
C'est agréable d'avoir ses retours là, et n'hésites pas à laisser une évaluation des jeux maintenant que tu te les aies procurés.

Xavier,
Pour Playad Games.

Du jeu, du fun et de la bière nom de Dieu...

2 « J'aime »

Bien d'accord avec @quoiquidit (D'un autre côté on faisait tous les 2 partie du même groupe ).

Le passage sur le stand Playad, un peu par hasard dans ce fameux Hall 4, reste pour moi un des meilleurs souvenirs du salon. Entre les parties de NYK et Boom Bokken bien sympas, un peu de discute avec Arnaud sur le pourquoi du comment de Playad et les galères d'étiquettes CE de la veille...

C'était vraiment agréable de passer un peu de temps avec des gens passionnés qui ne se prennent pas la tête.

Pour ma part je suis reparti avec NYK que j'ai pu faire essayer à des joueurs "casual" et qui ont adoré.

Bref, merci pour le carnet d'auteur Boom Bokken et bonne continuation (et désolé pour le passage de pommade... )

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