Les Jeux de société aux origines des Jeux vidéo

Les Jeux de société aux origines des Jeux vidéo

Il y a de cela plus de 30 ans, les jeux vidéo venaient à peine de naître aux yeux du grand public, passant des écrans d’oscilloscopes à ceux des ordinateurs de plusieurs universités américaines, s’introduisant dans les cafés et bientôt dans nos chers foyers. Non, vous ne vous êtes pas trompé, vous êtes bien en train de lire un article sur les jeux de société : mais sans les jeux de société, les jeux vidéo n’auraient pas eu de terres fertiles où planter leurs graines technologiques.

DefaultMême si cela risque d’ennuyer certains d’entre vous, qui ne voient pas encore ce rapport tacite, je vais revenir rapidement sur les prémices du jeu vidéo. Ce sont pas moins de 3 dates clés qui sont à l’origine de ce nouveau média. La première est 1951 : cette année-là un ingénieur travaillant pour Loral Electronics et répondant au nom de Ralph Baer, se voit confier la tâche de créer le meilleur téléviseur (au monde si possible). Cela ne lui fait pas peur, et dans son esprit germe l’idée d’ajouter un module de jeu afin de contenter toute la famille. Mais l’idée est refusée par son employeur. Il l’utilisera tout de même, mais un peu plus tard en 1968 avec Chase Game, et en créant l’Odyssey au sein de l’entreprise Magnavox quelques années plus tard. La seconde date c’est 1958. Au laboratoire national de Brookhaven, un simple oscilloscope attire tous les regards : il y est possible de jouer à un simulacre très simplifié du tennis, vu de profil. C’est William Higinbotham qui est derrière cette prouesse. Le tennis sera donc le premier amour sportif des jeux vidéo, mais le plus intéressant reste à venir. En 1952, un étudiant de l’université de Cambridge, A.S Douglas vient de créer un jeu vidéo sur un ordinateur EDSAC, il s’agit d’Oxo qui n’est ni plus ni moins qu’un jeu de morpion.

Voilà nous y sommes, même si le premier jeu vidéo n’est pas hérité des jeux de société, ces derniers font bien parti des prémices, et il ne s’agit ici que d’un premier flirt, la suite va être bien plus intense.

Les années 60, la décennie de l’espace

La décennie suivante va voir naître de nombreux jeux vidéo. La brèche ayant été ouverte, il ne reste plusDefault qu’à une manne de jeunes talents de s’y engouffrer pour nous proposer de multiples idées et jeux. Mais dans les années 60, le monde a les yeux tournés vers l’espace, et notamment la lune. Cette ambiance spatiale va grandement influencer la création vidéoludique. L’espace et son univers infini, assujetti à des lois physiques différentes fait rêver, et permet de faire naître de nombreux concepts. Une véritable couveuse spatiale, nouvelle terre inconnue, berceau de nombreux fantasmes. Dès 1961, Spacewar programmé sur PDP-1 met en scène deux vaisseaux spatiaux, puis en 1965 Space Travel tournant sur GE-645, propose une simulation de système spatial, de même pour Chase en 1966 de Ralph Baer qui peut se jouer sur un téléviseur.

Dans le monde du jeu de société, le Scrabble fait les beaux jours de son éditeur Spear tandis que Life, édité par MB, vous propose de changer de vie, et que le docteur Maboul vous propose de retirer des entrailles d’un pauvre type toutes sortes d’objets. Rien de bien nouveau sous le soleil. Risk et le 1000 bornes sortis la décennie suivante, continuent de très bien se vendre.

Le 21juillet 1969, Neil Amstrong et ses confrères astronautes marchent sur la lune, bouclant cette décennie lunaire de manière spectaculaire.

Une ère informatique

Les ordinateurs qui jusqu’ici n’étaient disponibles et accessibles que dans les plus grandes universités ou centres scientifiques vont peu à peu se démocratiser. La jeunesse de l’époque va alors s’intéresser de près à ce nouveau média, et les premiers programmeurs amateurs vont commencer à faire danser leurs doigts sur les claviers en plastique mou. Les plus grandes sociétés du jeu vidéo vont aussi voir le jour à cette époque. Leur créneau : les bornes d’arcade, puis plus tard les consoles de salon. Aux États-Unis c’est la grande effervescence avec la création de sociétés fondatrices comme Atari par Nolan Bushnell ou Commodore par Jack Tramiel.

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La programmation, surtout à cette époque encore balbutiante, est une chose ardue, et sortir des nouveaux concepts ne provenant pas du monde réel est encore trop complexe pour des machines très limitées. Les jeux vidéo sont des jeux et à ce titre ils doivent être amusants, simples à programmer et surtout ils doivent prendre en compte les limitations techniques de l’époque. Tout ceci n’est donc pas encore propice à l’originalité et à la battue de chemins encore vierges. Mais voilà les jeux ne sont pas des inventions modernes, ils existent depuis de nombreux siècles, et les jeux de société vont devenir une source inépuisable et abordable pour ce média encore juvénile. De son côté le jeu de société n’a pas encore écrit ses lettres de noblesse, se battant encore avec les anciens concepts comme le Monopoly ou les échecs qui se partagent le gâteau avec des titres plus récents comme Risk, le Scrabble ou le 1000 bornes (qui est lui-même inspiré de Touring). Les développeurs se tourneront alors vers des jeux plus anciens, mais aussi plus simples à adapter, et c’est ici que notre article prend son envol.

Les jeux de société, fondateurs du jeu vidéo

Nintendo, la célèbre firme de jeux vidéo, dont je vous ai narré l’histoire dans le dossier sur les jeux de cartes au Japon, s’est inspiré des jeux de société pour produire sa première borne d’arcade ; ce jeu c’est Computer Othello, distribué en 1978. Il s’agit d’un table top, c’est-à-dire une borne d’arcade en forme de table où l’écran était inséré à plat à l’intérieur, et qui propose de jouer au célèbre Othello ou reversi.

Les jeux et l’informatique ont toujours fait bon ménage. Dès les premiers OS Windows possédant une interface graphique, on vit apparaitre aux côtés du démineur, un célèbre jeu de cartes : le solitaire, qui deviendra l’un des jeux informatiques les plus joués au monde. Mais avant cela, et même avant les dates que j’ai pu citer en début d’article, un lien jeu-machine avait été fait avec le NIM aka NIMROD, créé et publié par Ferranti en 1947, et qui fonctionnait sur ​​DEC PDP-1. On ne pouvait jouer qu’à un seul joueur, mais c’était déjà une belle performance. Si je n’ai pas retenu cette date, c’est parce que le NIM n’a pas joui de la même exposition publique, relayé dans un laboratoire classique.

Il n’était pas rare que les développeurs en herbe se fassent la main sur des adaptations de jeux de plateau en jeux vidéo. Et si Nintendo a proposé assez tôt une version digitale d’Othello en arcade, les joueurs sur ordinateur n’étaient pas en reste. Le jeu d’échecs fut également une grande source d’inspiration, et le jeu Battle Chess avec ses animations de folie (pour l’époque) fit sensation à sa sortie en 1988 sur Amiga, avant d’être adapté sur de très nombreux autres supports. Deux ans auparavant c’est Chessmaster qui fit parler de lui, développé par Ubisoft il était jouable sur PC et Mac. Là encore on ne compte pas les adaptations. Et je ne vous parle pas des innombrables adaptations de jeux de Mah Jong sur tous les supports possibles et imaginables.

À partir de 1981 et jusqu’aux débuts des années 90, les bornes adaptées de jeux traditionnels seront fort nombreuses.

Avant Jeux Vidéo et Jeux de société s’aimaient d’amour

Aujourd’hui les seules fois où les jeux vidéo et les jeux de société se partagent les colonnes d’un magazine, c’est au moment de Noël pour les guides d’achats, ou au sein des magazines pour enfants. Mais cela n’excède jamais quelques pages perdues au fond d’une ligne éditoriale plus large. Or en 1980, le célèbre magazine Science & Vie décide d’ajouter un supplément basé sur les jeux à partir du numéro 749. À cette époque le jeu de société était déjà bien implanté à travers les jeux de rôle, les wargames ou encore les jeux plus classiques. Les jeux vidéo quant à eux étaient les petits nouveaux, et ils suscitaient beaucoup d’intérêt. Leur point commun : posséder le mot « jeu » dans leur nom. Les jeux de rôle seront d’ailleurs par la suite traités à part dans la revue Casus belli.

Le sous-titre du magazine qui était « N°1 de la presse des jeux de réflexion et pour micro-ordinateurs », résumait d’ailleurs bien ce rapprochement. Dans nos esprits de joueurs, ce qui nous aura le plus marqués ce sont les jeux offerts en suppléments, souvent des jeux de stratégie, que l’on devait construire nous-même à l’aide de ciseaux et de colle. Mais les plus rôlistes des lecteurs se rappelleront également de la création du jeu de rôle Mega, qui fera l’objet de plusieurs hors série.

Dans les colonnes de J&S, les jeux de société et les jeux vidéo vivaient en parfaite cohabitation, les rédacteurs n’hésitant pas à faire la corrélation entre ces deux loisirs de divertissement, souvent traités et jugés comme étant une chose sérieuse malgré tout. Et c’est dans cet état d’esprit que de nombreux jeux et articles appuyés par les mathématiques seront publiés. Un véritable sérieux journalistique qui frôlait le monde scientifique et informatique.

Depuis, un tel mariage ludique avec égalité des genres n’a plus jamais vu le jour ou presque, les communautés s’étant plus ou moins séparées, et ne se retrouvant qu’à de rares occasions. Il suffit de regarder les réactions des joueurs lorsque l’on parle de la place des jeux vidéo au festival de Cannes ou au FLIP, celui-ci n’étant pas forcément vu d’un bon œil, mais plutôt comme un envahisseur glouton dont l’appétit insatiable a fait main basse sur l’industrie des loisirs, et cela au-delà du jeu en lorgnant sur les revenus générés par le cinéma.

Du coup j’ai envie de donner un coup de pied dans la fourmilière, et dire : à quand un magazine regroupant tous les jeux de manière générale ? Qu’il soit de société, vidéo, sportif et même de l’esprit ou littéraire. Le jeu n’est-il pas une chose universelle que l’on retrouve au-delà de nos frontières humaines, un langage universel qui dépasse les cultures, les croyances et les générations ? Enfin, je m’éloigne du sujet là.

Et aujourd’hui ?

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Aujourd’hui les adaptations sur tablette sont de plus en plus nombreuses, que ce soit sur Ipad qui a ouvert la voie, sur Androïd qui propose un catalogue moins fourni ou sur Windows phone. Nombreux sont les jeux à être adaptés sur tablette, séduisant ainsi les joueurs de plateau, mais également les joueurs de jeux vidéo qui peuvent ensuite se diriger vers le jeu de société qu’ils ne connaissaient alors pas du tout. Moi-même j’ai découvert Les aventuriers du rail de cette manière.

Les jeux numériques ne supplanteront jamais les jeux de société classiques avec leur plaisir tactile et qui facilitent le rapprochement des personnes. Mais ils pourraient contribuer à leur insertion auprès des joueurs casuals, qui jouent sur leurs téléphones pour se détendre, les dirigeant doucement vers le jeu de société. Loin d’être rivaux, jeux de société et jeux vidéo se tiennent la main depuis des années, et même s’ils se sont un peu perdus de vue à l’entrée des années 2000, leurs retrouvailles joyeuses ne peuvent que nous réjouir.

Merci à Quilicus pour sa correction.

3 « J'aime »

Merci pour l'article très sympa Vianney.

Mais de rien tout le plaisir est pour moi, bientôt la suite ;)

Merci pour cette article qui m'a rappeler cette belle époque ou on passait d'un jeu sur Amiga 500+ ou amstrad 6128 à un jeu de société sans se poser de question !!

Merci pour cet article.

il faut quand même signaler que la majorité des jeux évoqués sont les grands classiques, des jeux de réflexion.

C'était aussi l'occasion de développer une intelligence artificielle et de parler de puissance de calcul, de comparer les machines.

on peut citer le film Wargames, un classique.

Le jeu vidéo, c'est d'abord Pong, Space Invaders ou PacMan...

Jeux et Stratégie, c'est une référence de par la qualité de ses articles.

Il y avait quelques pages sur les jeux vidéo, oui, mais l'essentiel était ailleurs : les jeux de réflexion.

J&S retrace bien l'évolution du jeu de société dans les années 80 avec les wargames, les jeux de rôle...

J'aimerais bien connaître l'avis des joueurs de classiques (échecs, dames, othello, backgammon, bridge...) sur les jeux actuels.

@ Max43 : c'est vrai qu'à l'époque on ne se posait pas la question : si on était JDS ou JV.

@ godassedor : Je n'avais pas du tout pensé à la partie développement et notamment celle des IA. Oui Wargames est un bon exemple filmographique avec son morpion.

Oui la ligne éditorial de J&S était de proposer des articles de fond, souvent basé sur la réflexion ou les mathématiques, il y avait un gros côté scientifique. Il est d'ailleurs amusant et intéressant de replonger dans quelques numéros.

J'aimerais bien connaitre aussi leurs avis. :)