Juste avant le festival Paris Est Ludique, nous vous avons excité les papilles avec une présentation rapide et succincte de « Les Bâtisseurs » de Frédérick Henry. Nous vous expliquions que Bombyx avait décidé de créer un petit événement pour la sortie du jeu, à la rentrée, en investissant massivement dans des Pouic(o)s afin de participer au financement de Tric Trac tout en les donnants aux gagnants d’une compétition amicale pour qu’il y ait de l’enjeu et que tout le monde y gagne quelque chose, surtout nous. Que Dieu les bénisse. Nous n’étions pas entrés dans les détails du jeu, il est temps de le faire.
Fred Henry fait du jeu à l’allemande !
L’auteur, Frédérick Henry, est plutôt un amateur de jeu à thème fort, du type améritrash. Des jeux avec des dès, des figurines, si possible des Zombies, des combats… Mais aussi de jeux simples et rapides de type Party Game. Son « TimeLine » en est le parfait exemple de réussite. Or donc, ce Monsieur (brillant matheux qui a enseigné un temps les probas et les stats) est un vrai intellectuel du jeu. Un homme à challenge qui jusque-là se moquait –gentiment- des jeux de comptable, des jeux à l’allemande. C’est donc un défi intellectuel qu’il s’est lancé avec la création d’un jeu qui reprendrait certains grands principes des jeux de ce type, les archétypes qui le composent le plus souvent, à savoir le travail d’ouvriers, la construction de bâtiments, la combinaison de ressources, l’optimisation de ses investissements et le principe de la « liquidité imparfaite ». Oui Madame. La « liquidité imparfaite ».
John Maynard Keynes (1883-1946) |
« Les Bâtisseurs » est entièrement basé sur le principe de la « liquidité imparfaite ».
Pour bien saisir ce concept, il faut revenir aux fondamentaux de la théorie de la monnaie (cf Keynes et plus récemment André Orléans).
La monnaie a 3 fonctions : Conservation (elle ne connait pas l’usure du temps), fractionnement (elle est sécable, divisible) et dénominateur commun d’échange (référent universel). Lorsque ces trois fonctions sont réunies, on a ce qu’on appelle une situation de « liquidité parfaite ». Si j’ai un billet de 5€ sur moi et que je veux payer ma baguette 1€, je pourrai le fractionner (le boulanger me rendra 4€) et le commerçant acceptera évidemment mon argent, car l’Euro est un moyen d’échange universel dans cette zone (plus exactement un dénominateur commun d’échange). À l’opposé de cette situation idéale se trouve la situation de troc, qui peut aller jusqu’à ne réunir aucune de ces trois fonctions ( pas même la fonction de conservation, dans le cas de produits périssables).
Entre ces deux opposés, on a tout un continuum qui se caractérise par un état de liquidité plus ou moins parfaite : la liquidité imparfaite (l’état de liquidité imparfaite s’inscrit donc dans une problématique de degré et non pas de nature).
Nous aurions, par exemple, un état de liquidité imparfaite si nous avions une quasi-monnaie caractérisée par une structure multidimensionnelle (là où les monnaies telles que nous les connaissons sont unidimensionnelles, c’est-à-dire qu’elles n’ont qu’une unique unité de valeur. Cette quasi-monnaie romprait de fait avec le principe d’échangeur universel). Si de plus, cette quasi-monnaie n’était pas pourvue du principe de fractionnement/divisibilité alors nous nous enfoncerions encore dans le ventre mou de cette zone mal définie du continuum.
En terme de jeu (nous y voilà enfin) cette quasi-monnaie ce sont les ouvriers. Ils permettent de « payer » les bâtiments, mais ont une structure rigide : la distribution de leurs savoir-faire, sous un double rapport, quantitatif et qualitatif. Tout le jeu consiste donc à optimiser leur pose, parce que chaque apport superflu est payé malgré tout (on ne rend pas la monnaie), or ces apports sont multiples (multi dimensionnalité) et loin d’être systématiquement nécessaires. On a donc un jeu où il ne suffit pas d’être efficace, mais où il faut être efficient, tant en terme de coût qu’en terme de temps (il y a une double économie, monétaire classique (on paie les ouvriers en argent) et temporelle (on paie les actions en points d’action). Il faudra donc optimiser sous ces deux rapports à la fois. Les questions qui se posent sont donc tout autant des questions de rentabilité d’une action à un moment m, que des problématiques d’immobilisation de capital et de turn-over, voir même d’amortissement (pour les machines).
Bon je vois que je suis long et verbeux donc j’arrête là. Encore une fois ce n’est pas là le jeu, c’est là la philosophie du jeu. Le jeu est vraiment très simple à prendre en main, mais suscite de multiples questionnements qu’il faudra résoudre pour affiner ses arbitrages. ».
Frédéric Henry - Juin 2013
Alors, ça vous en bouche un coin ça hein ! Et ça vous donne mal à la tête au passage. Sacré Fred Henry.
Ok, mais comment cela se traduit-il en terme de jeu donc ?
« Les bâtisseurs – Moyen âge » est en fait un jeu terrrrriblement simple, contrairement à la pensée de Frédéric Henry, et c’est ça qui est fort. Le jeu tiendra dans une petite boîte en métal « carrée », le même genre que « Noé » chez le même éditeur. Il sera composé de cartes et de jetons. Rien de plus, rien de moins. Le tout pour une quinzaine d’€uros. Les parties vont durer en moyenne 30 minutes, peut-être un peu plus si vous êtes du genre à beaucoup réfléchir. Donc, c’est du léger rapide. L’auteur ne cherche pas à innover, il cherche à explorer en tordant la cible…
Oui, bon, et la mécanique ?
Le but du jeu va être d’accumuler des points de victoire en construisant des bâtiments. Ces bâtiments sont des cartes et pour les valider, les construire, il va vous falloir des ouvriers, ouvriers qui sont aussi des cartes. En début de partie, chaque joueur va recevoir un apprenti et 10 écus. On fait ensuite une ligne de 5 bâtiments visibles, et une de 5 ouvriers visibles, le restant étant placé en pioches la prochaine carte à venir étant visible. La partie peut commencer.
À son tour, le joueur actif peut effectuer 3 actions gratuites et autant d’action supplémentaire qu’il le souhaite si tant est qu’il ait 5 écus à dépenser pour chaque nouvelle action.
Les actions possibles sont :
- Ouvrir un chantier.
- Recruter un Ouvrier.
- Envoyer un Ouvrier sur un chantier.
- Prendre un ou plusieurs Ecus.
Ouvrir un chantier.
Cela coute une action, le joueur va choisir l’un des bâtiments parmi les 5 disponibles faces visibles. Il le place devant lui et le remplace dans la ligne par un bâtiment de la pioche afin qu’il y ait toujours 5 bâtiments disponibles. Le joueur peut, bien sûr, ouvrir plusieurs chantiers, et ce dans le même tour s’il a assez d’actions… Les bâtiments sont plus ou moins complexes à réaliser, ils rapporteront, lorsqu’ils seront construits, plus ou moins d’argent et plus ou moins de points de victoire.
Recruter un ouvrier.
Cela coute une action, le joueur va choisir l’un des ouvriers parmi les 5 disponibles faces visibles. Il le place devant lui et le remplace dans la ligne par un ouvrier de la pioche afin qu’il y ait toujours 5 ouvriers disponibles. Le joueur peut, bien sûr, recruter plusieurs ouvriers, et ce dans le même tour s’il a assez d’actions… Ces ouvriers sont plus ou moins spécialisés, ils couteront donc plus ou moins cher en salaire quand vous les assignerez à un chantier, et ils apporteront donc plus ou moins de ressources.
Envoyer un Ouvrier sur un chantier.
Lorsque vous envoyez l’un de vos ouvriers sur l’un de vos chantiers, cela vous coute 1 action, mais aussi un salaire. Ce coût est indiqué sur la carte. Un apprenti vous coutera 2 écus là où un Maître en coûtera 5. Sauf qu’un Maître aura plus de ressources dans sa spécialité qu’un apprenti, et donc il vous permettra de construire des bâtiments plus vite, avec un rapport plus intéressant entre son coût et son efficacité… Attention, si vous voulez poser plus d’un ouvrier durant le même tour sur un même chantier, cela vous coutera 1 action de plus que l’ouvrier précédent. En gros, un second ouvrier vous coutera 2 actions, là où un troisième vous en coutera 3… Cela a l’air de rien, mais pour contrôler la fin de partie, il vaut mieux planifier dans sa tête pour ne pas se laisser surprendre et surprendre… Envoyer des ouvriers sur des chantiers différents ne vous coutera pas d’actions supplémentaires. C’est de la gestion d’optimisation avec du « différentiel » on vous dit…
Prendre un ou plusieurs Ecus.
Si vous êtes en manque d’argent, vous pouvez convertir des actions en Ecus. Pour une action vous récupérez 1 écus, pour 2 actions vous récupérez 3 écus et pour 3 actions vous en prenez 6 ! Cela peut aussi être intéressant à la fin de la partie dans la mesure ou 10 Ecus vaudront 1 point de victoire…
Comment je termine un bâtiment ?
Cela se fait automatiquement, lorsque les ressources apportées par vos ouvriers correspondent au minimum requit pas ledit bâtiment. Si c’est le cas, instantanément, au moment de la pose de l’ouvrier qui complète les besoins, le bâtiment est retourné sur sa face « contruit » et vous marquerez les points indiqués dessus. Les ouvriers qui travaillaient sur l’oeuvre sont à nouveau disponibles. D’ailleurs, s’il vous reste des actions, ou si vous avez des Ecus pour payer des actions, vous pouvez de suite les envoyer sur un autre chantier. Au moyen-âge, les pauses syndicales, les RTT et les heures sup n’existaient pas !
Que serait un chantier sans machine !
Pour vous aider, vous pouvez avoir des machines. Ce sont des cartes qui apparaitront dans la ligne des bâtiments. Vous les récupèrerez avec l’action « Ouvrir un chantier », et il faudra les réaliser en utilisant vos ouvriers et l’action « Envoyer un Ouvrier sur un chantier ». Une fois construite, une machine s’utilisera comme un ouvrier, vous les enverrez à leur tour sur des bâtiments puisqu’elle possède des ressources, et même parfois des points de victoire ! Dingue.
Oui, mais comment je gagne ?
Les tours s’enchainent, jusqu’à ce qu’un joueur atteigne ou dépasse les 17 points de victoire cumulés par ses cartes. Là, on est proche de la fin, car chaque joueur à qui il reste un tour rejouera. Oui, de la justice il faut. Que chaque joueur à jouer exactement le même nombre de tours. Une fois fait, chaque joueur compte ses points, rajouter 1 point par tranche de 10 écus et le joueur avec le score le plus élevé est déclaré « Grand Vainqueur ».
Fluide ?
Lu comme ça, cela peut paraître un peu complexe, mais les actions, les tours sont simples, évidents. Ce qui l’est moins, c’est de tout optimiser afin d’avoir le moins de perte possible, de contrôler la fin de partie, de ne pas se laisser surprendre… Vous pouvez le jouer comme ça, à l’emporte-pièce, ou vraiment vous tordre les neurones pour tout calculer. Toutes les informations sont visibles. Il y a de l’opportunisme et ce soupçon de tirage (c’est un jeu de cartes) qui peut vous faire couiner et vous donne envie d’en refaire une de suite puisqu’en fait cela ne fait que 30 minutes que vous jouez…
Les retours des joueurs.
« les bâtisseurs » était présenté en prototype durant le festival Paris Est Ludique, et l’équipe de Bombyx a recueilli le retour des joueurs présents sur de petits bulletins remplis de manière anonyme. Alors le mieux est d’analyser la chose, parce que nous, chez Tric Trac, on a aimé le jeu, mais on pourrait penser qu’on se force parce qu’on aime bien Frédéric Henry et que Bombyx nous a acheté des Pouic(o)s. Oui, le monde est si soupçonneux…
Sur un peu plus d’une centaine de joueurs passés jouer, voici ce que cela donne pour ceux qui avaient un bulletin lisible et au minimum complet. Notez le « plaisir », « l’ambiance » et le « rejouer »…. 80 joueurs avaient envie de rejouer contre 8 qui n’étaient pas vraiment enthousiasmés… 86 joueurs ont pris du plaisir là où 5 n’en ont pas pris… C’est réalisé sans trucage, d’ailleurs, ils ne vont pas manquer de s’exprimer sur cet article puisque certains l’ont déjà fait dans le forum…
Alors bien sûr, il est possible que vous soyez dans les 10% qui ne vont pas trouver là un jeu bouleversant, un jeu qui ne va pas vous exciter plus que cela. C’est normal, un jeu ne peut pas plaire à tout le monde, surtout si vous chercher du bien lourd, du truc ultra-velu. Mais force est de constater que pour le moment, le public qui a pu y goûter en redemande, et son prix, son formant sont sans doutes un très gros avantage.
Concrètement de notre point de vue d’expérience.
Nous avons pu faire, tranquillement, plusieurs parties sur un prototype. Mon opinion à moi que j’ai est que le jeu est d’un accès très simple, évident, avec un goût de reviens-y puisque la défaite et la victoire vont se jouer rapidement et de quelques points. D’aucuns objecteront que l’on joue un peu dans son coin. Ils n’ont pas tout à fait tort, mais un peu quand même, car si vous ne faites pas attention à ce que font les autres, vous ne risquez pas de gagner. Vous devez essayer de voir si leur prendre sous le nez tel ouvrier ou tel bâtiment ne va pas les gêner même si pour vous ce n’est pas le meilleur, vous devez calculer s’il faut finir la partie vite ou si vous avez encore 1 tour ou 2 en analysant où ils en sont…
D’autres se plaindront de l’attente avant son tour, il est vrai que l’on est pressé de mettre son plan à exécution et qu’un joueur lent va vous pousser à lâcher le célèbre « c’est à qui de jouer ?! »… Mais, si l’on regarde bien, une partie à 4 va durer dans les 30 minutes, vous allez faire en moyenne 7 ou 8 tours (oui, je vous ai dit que c’était court), ce qui fait en moyenne 1 minute par joueur à son tour, soit 3 minutes avant que cela ne revienne à vous, ce qui n’est rien, surtout si vous jouez avec des amis qui ont de la conversation. Bien sûr, les plus pressés vont adorer le jeu à 2, là, ça va tracer et en 1h vous pourrez en enchainer 4 parties. D’ailleurs, je vous fiche mon billet que ça va être une des configurations les plus prisées. Pensez donc, un jeu à la saveur allemande, qui tient dans la poche, qui coute 15€, qui se pratique terriblement bien à 2 et dure 20 minutes. Une tuerie.
Chez Tric Trac, nous pensons que « Les Bâtisseurs » est dans la même veine, niveau public et impact auprès des nouveaux joueurs, que « 7 Wonders » ou le tout récent « Augustus ». Oui. Avec des graphismes qui devraient accrocher. On sent le carton. Assurément. Mais on peut se tromper. Oui.
Je vous rappelle que le jeu est prévu pour octobre, donc vous avez le temps de voir venir et nous avons le temps de faire une petite Tric Trac TV pour que vous jugiez sur pièce, comme des adultes responsables que vous êtes. Oui.
► L’annonce précédente avec un peu de et de rien dedans, c’est par ici !
“Les Bâtisseurs : Moyen-Âge”
un jeu de Frédéric Henry
pour 2 à 4 joueurs
à partir de 10 ans
pour des parties de 30 minutes en moyenne
édité par Bombyx
Distribué par Asmodee
Sortie prévue fin 2013
Prix : autour de 15 €uros