Bruissement du vent dans la toile

Bruissement du vent dans la toile

« Ce soir je serais la plus belle pour aller danser ». Comme elle est terrible (^^) cette petite phrase de 1964 où Sylvie Vartan reprenait à son compte les désirs d’une cendrillon moderne dans un nouveau monde qui voyait l’émergence d’une culture de la jeunesse. Un monde en reconstruction, désireux de s’épargner le retour des afflictions de la guerre, un monde qui cherche le réconfort dans le plaisir et les loisirs mais surtout dans le porte-monnaie d’une nouvelle classe sociale qui se remplit avec les trente glorieuses.

On voit alors fleurir une communication d’abord balbutiante puis redoutablement étudiée qui va donner des allers et retours entre ce que nous sommes censé désirer et ce qui va nous définir socialement comme être humain du loisir.

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Si cette « Civilisation des Loisirs » théorisée par les auteurs Joffre, Dumazedier et Aline Riperte dans les années 60 n’est pas la grande explosion culturelle promise malgré des lieux riches en proposition comme le furent les Maisons de Jeunes et de la Culture, les loisirs sont bels et bien aujourd’hui une composante sociale primordiale.

Le loisir comme l’indique son étymologie latine c’est la permission. En opposition au travail qui désignait (et devrait toujours le faire) la partie laborieuse et obligatoire (voire douloureuse parfois comme on le retrouve dans le vocabulaire de l’accouchement) qui se mélange aujourd’hui dans le langage à la « profession ». Ce n’est donc pas le musée, la salle de danse ou de poterie qui va bénéficier de ce nouvel espace de liberté et de construction de soi mais le petit écran (le cathodique tout rond gros). Dans les années 1980, le Français passent désormais plus de temps devant la télévision qu’au boulot.

Aujourd’hui, le média de loisirs principal est le Net qu’il se décline sous ses formes statiques ou nomades. En 1999, les Français passaient 16 min à jouer ou à naviguer. Dix ans plus tard ce temps avait doublé.

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Et puis sont venus les réseaux socios. Aujourd’hui 10 millions de français se connectent chaque jour à Facebook. Et là va se dérouler un autre jeu. Le but des réseaux n’est pas tant de jouer même si cette activité de passe-temps y reste très développée mais surtout c’est l’occasion de se poser soi-même en sujet. Regarde mes loisirs et tu sauras qui je suis. Et s’il te plait, like moi !

Haaaaa ! Ce fameux like. La course aux amis, aux likes est désormais l’indice d’une popularité aussi infime que celle que l’on peut trouver dans les émissions racoleuse de la fameuse téléréalité ou l’éphémère, la superficialité, le mensonge et la bêtise s’érige comme les nouveaux étendards pour devenir la chef des pompoms girls de notre environnement social.

Pour son chien, tout homme est Napoléon.
C’est ce qui explique la grande popularité des chiens.

- Aldous Huxley

Si cela touche l’individu en désir d’existence et d’image, la sphère du like-moi touche également les domaines pros et surtout ceux qui s’adressent au public des loisirs. Depuis le Coca et le Mac, on sait que la qualité n’est qu’accessoire. Il faut être sympa et dans le coup. Il faut être représentatif et transformer chaque client en en porte-drapeau capable de répandre la bonne parole et faire croire qu’il achète du rêve et de la liberté. Appartenir à un groupe social à la fois identifié, complètement schématisé mais qui donne l’image d’une individualité originale. Un grand écart intellectuel qui nous fait chercher l’uniformité pour atteindre une présence individuelle. Je suis légion.

Mais comment être bien sûr d’acheter la bonne marque. Comment savoir si porter son t-shirt dans le pantalon est encore infiniment ringard ou est subitement redevenu hype. Afin de suivre le mouvement, les médias ont inventé les tops. Ne plus risquer de se tromper d’objet de loisir car souvent plus qu’outil, l’objet est un insigne d’appartenance au groupe.

Les individus que nous sommes ont tendance à juger leur réussite à l’aune de critères extérieures tels que la position sociale, l’influence, la popularité, la richesse ou le niveau de l’éducation. Ce sont bien sûr des notions importantes pour mesurer sa réussite – et ont comprend que beaucoup tentent d’obtenir le meilleurs d’eux-mêmes sur ces points. Mais d’autres critères intérieures sont peut-être plus importants pour juger de l’accomplissement d’un homme ou d’une femme. L’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres- qualités à la porté de tous.

- Nelson Mandela

Ce qui est drôle avec le top c’est qu’il génère lui même son propre moteur. Plus l’objet classé est bien classé plus il devient accessible à être… mieux classé.

Du coup pour être bien classé, il ne s’agit plus de vanter les qualités intrinsèques ou supposées mais de dire qu’on est bien classé. Êtes-vous encore dans la course ? Êtes-vous toujours vivant ?

Dans notre domaine ludique nous n’échappons pas à cette règle moderne. Nous avons nos tops et le jeu de société se plie également à ces petits spectacles de concours de beauté ou de qui sera le plus populaire dans cette grande cours de récré. Cela devient parfois assez effarant.

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Un exemple pour rire ? Voici ci-dessous un lien vers un site américains nommé Boardgamelinks. Son usage ? Faire des listes et des tops. Pour cela rien de plus simple, il suffit de liker.

► Le site du grand rien : Boardgamelinks

Nous apprenons ainsi que le top 10 des jeux de société est BoardGameGeek (ce qui semble assez raisonnable en temps que leader). Le reste est plus amusant et ne cherchez pas, vous ne trouverez ni Tric Trac ni d’autres sites français pour le moment. Côté éditeurs mondiaux c’est Iello qui se tape la couronne de la plus belle pour aller danser suivi de FFG et Ystari. Le nombre de votants est bien sûr encore un peu ridicule mais vous avez peut-être vu passer sur votre rézocio préféré quelques appels à liker. C’est tellement simple et tellement sympa.

En tout cas c’est plus facile que de créer une fiche de jeu, laisser un avis constructif, faire une critique. Nous avions déjà pu constater les phénomènes de bourrages d’urnes et autres morts qui votent dans les « bruissiers » qui se déroulent dans les salons de jeux. Un jeu dans le jeu en quelque sorte mais avec des règles… très souples et tout ceci pour la seule et unique raison d’essayer d’être dans les premiers à savoir quel jeu bruisse-buzze en ce moment. Mais pourquoi ? Pour y jouer plus longtemps, mieux, plus fort ? Non. Pour être encore dans le coup. Qui sera la majorette de tête ?

Et si en 2014 nous jouons plus, nous échangions plus, et nous likions moins ?

L’amour en un clic ? C’est pour aimer sur place ou emporter ?

36 « J'aime »

Oups, j'ai liké ... mais n'y voyez rien de personnel, cher docteur ^^

4 « J'aime »

Du coup, je like et partage votre article ou vous suis en ne faisant rien ?

Une petite news insignifiante pour une grande tribune sociétale, je ne peux qu'aimer. On passe tellement peu de temps à dire et écrire ce qui est vraiment important...

ooops, j'ai liké ;)

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La réalité du like (ou du nombre de fans) comme indicateur de popularité est assez relatif de toutes façons : c'est achetable contre qq euros.

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(y)

Par principe, j'évite autant que je peux Facebook et je ne like rien (je ne dislike pas plus).

Donc j'ai liké. Yep.

J'ai cliqué sur "j'aime" mais j'aurais préféré "j'adore".

Merci Docteur pour ce très bon moment.

Très bon article, comme on les aime dans cette V4.

J'applaudis des deux mains, ce qui règle la question de savoir si je lève le pouce ou pas.

Quelques fautes cependant, dont une qui se retrouve en page d'accueil : Sylvie Vartan, qui ne doute de rien, chante au futur ; ce qui donne : "Ce soir je serai la plus belle pour aller danser".

A la lecture de cet article qui par ailleurs m'a beaucoup plu, je me dis que j'en veux plus.

Ce genre de publication colle parfaitement à l'esprit de la V4 qui me semble être de plus en plus une réussite.

En revanche, j'avais failli acheter cet article en premium mais aujourd'hui qu'il est disponible pour tous j'aurais souhaité pouvoir tout de même donner du pouicos pour celui-ci. Cela serait-il possible ou envisagé dans le futur ?

Article très intéressant, docteur.

La portée du phénomène touche d'ailleurs tous les domaines de la société.

Si on prend le domaine médiatico-politique, la présence permanente des sondages montre que, partout, l'on accorde plus d'importance à la popularité (d'une idée, d'une politique, d'un évènement...), qui semble agir comme un juge de paix, qu'à la recherche de points de vue différents et argumentés, seuls susceptibles d'apporter des éléments d'appréciation pertinents aux citoyens.

Les périodes d'élection sont typiques du phénomène, et je suis convaincu qu'un candidat annoncé en tête par les sondages, bénéficiera d'un gain important de supporters. Et oui, les bonnes gens veulent "bien jouer" en votant pour celui qui gagne !

Mais est-ce réellement un phénomène si nouveau que cela ?

Ah ! Ah ! Moi je dis : "virez les j'aime/j'aime pas de la V4".

1 « J'aime »

Je vous remercie Docteur pour ce fin diagnostic de l'état de notre société.

Ce voyage dans le temps et dans les moeurs me ramène à une fin de siècle pas si lointaine où "jouer" était au mieux considéré comme une régression inquiétante, au pire comme la manifestation d'un sectarisme satanique, non sans rappeler le temps où l'inquisition réchauffait l'âme des fidèles au coin de feux de croix. C'est sur que passer des heures, des jours, des nuits à élaborer des scénarios, à écrire des backgrounds, à taquiner la carte et le dé était vu comme une activité d'autistes, qui avait notamment l'immense inconvénient de ne pas rapporter autant de pécules à l'état que la vente de biens de consommation prémâchés...

Notre culture 'mainstream' qui veut l'uniformisation des pensées et des désirs, a trouvé en internet l'outil idéal pour enfin parvenir à ses fins. Le 'like', par essence manichéen est le symptôme d'une société où le bien et le mal redeviennent les valeurs fondamentales. Nous voilà revenu au temps de la Rome antique, où le peuple avait l'impression d'avoir le pouvoir au bout de son pouce, un pouvoir terrifiant, celui de la vie ou de la mort. Téléréalité, réseaux sociaux, communautarisme, et même dans la vie professionnelle, la société nous exhorte de plus à plus à choisir entre le blanc et le noir, et si possible vite, peu importe si l'on a la moindre connaissance du sujet ni même le moindre intérêt pour le sujet... Comme s'il n'y avait pas d'alternatives.

Il m'arrive aussi de tomber dans ce piège, donc je ne lance pas l'opprobre sur le reste du monde...

Je ne vous 'like' pas Docteur, en revanche, je vous remercie de partager vos réflexions, votre culture, votre humour et ce regard humble mais éclairé sur le monde, ludique ou pas.

Et un buzzer, ça pourrait être un bruiteur (plutôt qu'un interphone).

Un excellent article, très intéressant, très philosophique et comme certains l'on déjà dit très V4.

Cela dit je pense qu'il y a plusieurs causes au phénomène. L'une d'elles est sans doute qu'on s'intéresse et on "suit" probablement beaucoup plus de choses qu'il y a quelques années. Tout simplement parce que internet nous en donne les moyens, simplement, rapidement et gratuitement. Et face à l'immensité des sujets qui nous intéressent tous, on ne peut se permettre de passer ne serait-ce qu'1/4h à discuter sur chaque. Alors oui, lit rapidement entre les lignes et on like, parce que c'est plus facile et qu'on a pas trop le temps. Une fois de temps en temps on se pose parce qu'un sujet nous touche vraiment et on discute un peu.

Finalement peut-être faudrait-il sonder les avis plus que les likes... Mais là aussi ça ne voudrait pas dire grand chose car en fait si on est fier d'énoncer son avis, ça n'a rien d'une discussion. Nous ne sommes pas dans un bar autour d'un café, nous sommes sur un forum qui publie chaque jours plusieurs news. Alors finalement cette profusion d'informations ne tue-t-elle pas la discussion ? car je sais pertinemment que dans quelques semaines j'aurais déjà oublié ce commentaire et je n'irai jamais voir si quelqu'un à répondu.

En conclusion, les avis vallent-ils mieux que les likes ? Je pense juste que ça dépend de l'entité, sur un jeu, un film, .. sur que oui, mais sur une news...

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Tout à fait d'accord ! (donc je ne like pas :-) )

Par contre, à force de taper trop vite, il y a des fôtes ...

(...) la fameuse téléréalité l’éphémère, la superficialité, le mensonge et la bêtise s’érigent comme les nouveaux étendards

(...)

Et si en 2014 nous jouions plus, nous échangions plus, et nous likions moins ?